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Bonne rentrée dans l’école de la recivilisation !

La fin de l’été fut rafraîchie par une pluie d’annonces présidentielles. Inconsolable depuis le deuil de Jean-Michel Blanquer, Emmanuel Macron ayant fait de l’école sa nouvelle passion, il l’investit de grandes missions. Ainsi la « recivilisation »… Pour l’historienne Laurence De Cock, ce concept « tout droit sorti du logiciel de l’extrême-droite » manifeste une volonté de dresser « des sauvages ».

Dans l’entretien qu’il a donné au Point le 24 août 2023, affirmant ainsi que l’école devenait son « domaine réservé », Emmanuel Macron a présenté sa feuille de route pour la suite de son second mandat.

Beaucoup ont déjà décrit la vision qui s’y dessine d’une école conservatrice, réactionnaire, résolument tournée vers un passé fantasmé, une école « des fondamentaux », de l’« instruction civique », du roman national. Un signe ne trompant pas non plus : sa reprise du vocable du « pédagogisme » à l’origine des défaillances de la démocratisation scolaire. Une marque de fabrique des discours stigmatisant la pédagogie qu’ils estiment responsable de la baisse des exigences scolaires, un raccourci rhétorique permettant de ne pas poser la véritable question qui fâche : celle d’une refondation politique, et des moyens qu’il faudrait allouer à l’école publique pour qu’elle ne laisse plus les enfants des milieux populaires sur le bord du chemin.

L’école qui découle de cet entretien ne correspond pas seulement à un retour vers le passé. On y trouve également de longs développements sur l’obsession disruptive d’une école relookée par sa fusion avec le projet néolibéral : évaluationnite aigüe, mise en concurrence des établissements pour l’attribution des fonds de fonctionnement etc. Bref, rien de nouveau sous le soleil de la Macronie.

Un point de cet entretien semble toutefois n’avoir que trop peu attiré l’attention. Une nouvelle mission est assignée à l’école : celle de participer à la « recivilisation ». Évoquant les émeutes de juillet 2023 dans les quartiers populaires, Emmanuel Macron constate que les jeunes révoltés, en grande majorité français, souffrent d’un problème d’intégration et de « décivilisation », qu’il attribuable en partie à l’explosion des cadres familiaux et éducatifs. C'est en ce sens que l’école doit être mise à contribution pour « reciviliser ».

Soyons claire : le concept est tout droit sorti du logiciel de l’extrême-droite. Brandir la décivilisation, c’est s’inscrire dans la ligne d’une idéologie qui considère une partie de la population comme des sauvages à dresser. C’est peut-être ici qu’il faut d’ailleurs trouver l’explication de la réhabilitation du roman national et de sa sacro-sainte « chronologie » qu’on trouve dans le même entretien.

Pionnière de l’analyse critique du roman national (il n’est pas inutile de le rappeler au vu de son invisibilisation actuelle), Suzanne Citron avait pointé dans Le Mythe national (1987, rééd. 2019) l’un des moteurs de ce récit historique : le couple sauvage/civilisé. En effet, les sauvages Gaulois s’y voyaient civilisés par les Romains, les sauvages païens par les Chrétiens et, bien-sûr, les sauvages indigènes par les colons européens. C’est l’histoire qu’on a raconté aux enfants pendant près d’un siècle et dont le retour est prôné par un faisceau de droite et extrême-droite.

L’usage de l’histoire comme outil de « recivilisation » figure en filigrane dans le dernier programme présidentiel du RN, qui souhaitaient restaurer un système éducatif « vital pour l’avenir de notre pays et de notre civilisation » ; proposant pour se faire un renforcement de l’enseignement du français et de l’histoire dans les REP (réseaux d’éducation prioritaire).

Dans ce contexte, l’annonce de l’interdiction des abayas dans les établissements comme une mesure phare de la rentrée scolaire ne peut qu'inquiéter. Tout comme l’ajout, plus discret, dans la liste des savoirs fondamentaux, celui de « se comporter » . Nous voilà tout de même assez proches du paradigme du domptage des corps et des esprits – fort éloignés des principes fondateurs de l’école publique. Nous voilà surtout sur une dangereuse pente d’une école publique transformée en centre de redressement civilisationnel.

Dans son interview, Emmanuel Macron appelle à en finir avec les hypocrisies françaises. Prenons-le aux mots. Le président de la République déclare vouloir « développer l’émancipation des jeunes et lutter contre les inégalités à la racine ». Dans ce gouvernement qui manipule la communication comme un broyeur de sens, l’usage du concept d’« émancipation » est désormais récurrent. Subtilisé à la gauche, qui l’avait quelque peu délaissé, il ponctue et décore désormais n’importe quelle prise de parole sur l’école ou, pire, sur le SNU.

On sait que l’émancipation à la sauce macronienne relève davantage de la libre-entreprise de soi que de la libération de ses aliénations ou d’une réflexion sur les rapports de domination. Mais même cette définition minimale et néolibérale commence sérieusement à coincer. Car on voit mal comment « reciviliser » et émanciper en même temps. Car on n’émancipe pas en faisant rentrer dans un moule mais, à minima, en développant l’esprit critique et le dépassement de ses propres enfermements. La « recivilisation » repose sur un paradigme exactement inverse de celui de l’émancipation puisqu’il s’agit de faire rentrer fissa les sauvages dans une norme sur laquelle ils n’auront aucun droit de regard et à l’élaboration de laquelle il leur est surtout demandé de ne pas participer. Une seule possibilité pour acquérir son brevet de civilisé : bien se comporter.

Un cran est donc franchi vers la stigmatisation et la relégation d’une partie de la jeunesse maltraitée par l’école. L’hypocrisie principale consistant à faire croire aux intéressés qu’ils et elles sont les principaux responsables de leurs échecs puisqu’ils se détournent d’une institution qui leur offrirait tout. Ce raisonnement permet de ne pas réfléchir à ce dont a vraiment besoin l’école publique, à commencer par des besoins matériels, urgemment, vitalement ; seul préalable à la possibilité d’une lutte contre les inégalités « à la racine » précisément.

Laurence De Cock

Une première version de ce texte est parue Café pédagogique, le 30 août 2023
De la même autrice sur le même sujet, dernier livre paru, École publique et émancipation sociale (Agone, 2021)