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De la poudre (verte) aux yeux, ou L’écologie contre l’école

Planter un arbre, uniforme, abaya… Depuis la rentrée, les annonces gouvernement continuent de pleuvoir sur l’école. Elles ne sont pas simplement des « diversions » mais relèvent d’un projet idéologique de chasse aux classes dangereuses.

La rentrée des classes nous a offert un beau programme de partage des tâches : aux élèves, la main verte ; au gouvernement la main lourde.

Dans son entretien avec HugoDécrypte à destination des jeunes, Emmanuel Macron a détaillé son agenda pour l’école, désormais partie intégrante de son « domaine réservé ». Parmi les annonces, chaque élève de sixième devra planter un arbre. Cette décision s’inscrit dans la lignée d’une série passée un peu inaperçue en juin dernier : intégrer aux programmes scolaires des « savoirs verts ». Voilà qui ne mange pas de pain et nous change un peu des savoirs bleu-blanc-rouge dont il était davantage question dans son interview au Point du 24 août dernier.

Aux mignons chérubins qui auront les mains dans le terreau cette année, on peut supposer qu‘il ne leur sera rien dit, ni à leurs enseignants, qu’au moment où ils déposeront ensemble ce petit être végétal dans leur cour d’école, le gouvernement laisse des centaines d’arbres être arrachés pour des grands projets dont la dimension écologique ne saute pas aux yeux.

Ainsi à Pantin, en Seine-Saint-Denis, explique le média Reporterre, les vieux sephoras du japon et marronniers d’Inde ont été abattus pour laisser place à un grand complexe de rugby de 4,6 hectares. Comme l’indique une habitante : « Par chez nous, dès qu’on a un peu de vert, on se le fait voler. » À Vichy, ce sont 180 arbres qui seront coupés pour rénover le parc des sources. Enfin, le cadre du projet d’autoroute entre Toulouse et Castres, on a abattu des platanes centenaires, rappelle Vert.eco.

Ces exemples typiques du capitalisme destructeur du vivant feraient pourtant une bien belle leçon. Par exemple, sur le récit mièvre de l’éducation au développement durable ? Mais il faudra sans doute attendre encore longtemps avant qu‘un exposé simplement exact des urgences écologiques intègre les programmes scolaires. Pour l’instant, on ne voit rien que le soleil qui poudroie (transformant les classes en étuves) et l’herbe qui ne verdoie plus du tout.

C’est que l’heure n’est pas à la critique. « L’ordre, l’ordre, l’ordre », assénait le président à la fin d‘un mois de juillet marqué par les révoltes dans les quartiers populaires. La pédagogie de la mise au pas connaît un plein succès. On en avait eu un avant-goût l’année dernière en découvrant les activités prévues pour le SNU, mais le gouvernement a franchi un nouveau palier dans l’innovation.

Après que le nouveau nouveau ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal ait interdit les abayas, voilà que la ministre de la Ville, Sarah Agresti Roubache, évoque la possibilité d’une tenue unique dans les quartiers pauvres. Il va de soi que les deux décisions marchent ensemble : la mise au pas des corps, ceux des jeunes filles musulmanes et ceux des pauvres : classes laborieuses, classes religieuses, classes dangereuses.

C‘est pourquoi cette décision et les débats qui en ont découlé sur l’uniforme ne sont pas simplement une « diversion » ou un coup politique pour diviser la gauche. Elles relèvent d’un projet idéologique précis de chasse aux pauvres et aux musulmans. Même si le chiffres est minime, il faut rappeler que 67 jeunes filles exclues de la rentrée scolaire, ce sont 67 jeunes filles que l’école publique abandonne. Et ce sont 67 de trop.

À ceux (peu nombreux) qui se sont indignés contre cette interdiction et contre le retour du marronnier de l’uniforme, il a été rétorqué qu’il s’agissait au contraire de protéger les jeunes. L’uniforme ou « tenue unique » (les communicants s’agitent pour trouver des formules de remplacement) camouflerait les appartenances sociales. Outre qu’il suffit d’aller dans une classe pour voir que les attributs de la pauvreté et de la richesse ne passent pas que par les vêtements, l’argument ne peut porter que dans le cadre d’établissements témoignant d’une véritable mixité scolaire, ce qui est loin d’être le cas.

En outre, il faudrait protéger les enfants de toute forme de prosélytisme, et d‘abord religieux. Cette fois, le sujet est sérieux. L’entrisme dans les écoles des idéologies intégristes comme le salafisme appelle des réponses à la hauteur du danger. Il n’est rationnellement pas défendable d’imaginer que l’interdiction d’une tenue vestimentaire soit une réponse à la hauteur du problème. Et que les jeunes filles chargent leur abaya d’une forme de religiosité ne fait pas d’elles des agentes de l’islamisme radical.

Un élève sous emprise (religieuse ou autre) se coupe de la communauté éducative, qu’il aborde avec défiance. Il rompt tout dialogue et souvent se mure dans le silence. Un élève sous emprise est enfermé dans un récit hostile à l’institution scolaire. Il en conteste les enseignements et devient hermétique à toute forme d’attention provenant de l’école. C’est un élève qui est en train d’apprendre la haine.

C’est à cette détection-là qu’il faut former les enseignants et les personnels de direction. Au lieu de cela, qui appelle un profond travail sur le dialogue pédagogique, nous nous réfugions derrière des mesures cosmétiques qui assignent à résidence confessionnelle des jeunes filles venues chercher dans l’école publique ce qu’elle est censée leur donner : la connaissance, l’intelligence, le chemin vers une insertion professionnelle.

Ce faisant, nous distillons un sentiment d’incompréhension et d’injustice, nous les rendons vulnérables et risquons de faire le jeu de ceux qui nous détestent déjà. C’est sans fin.

La réponse au danger que font peser les idéologies intégristes sur les élèves ne peut passer que par le maintien d’un lien pédagogique. Prenons garde à ne pas le briser.

Laurence De Cock

Une première version de ce texte est parue, sous le titre « Plante un arbre et va te changer », au Café pédagogique, le 11 septembre 2023
De la même autrice sur ces sujets, dernier livre paru, École publique et émancipation sociale (Agone, 2021)