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Violences policières. Un conseil de Clemenceau à Emmanuel Macron

Pour illustrer l’évolution, depuis les gilets jaunes, de la République en marche, Gérard Noiriel revient sur la longue et riche histoire des violences policières, celle du traitement par les classes dirigeantes des classes dangereuses lorsqu’elles sortent du rôle et de la place qui leur ont été attribuées.

Monsieur le Président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être, si vous avez le temps.

Je vous ai envoyé mon livre lors de sa parution au mois de septembre, avec cette dédicace : « À Monsieur le président de la République, cette histoire populaire de la France, en espérant qu’elle lui sera utile. Salutations citoyennes. » Vous avez eu l’amabilité de me répondre le mot suivant : « Merci beaucoup pour votre ouvrage et votre dédicace. Je vais m’y plonger et j’en suis sûr y apprendre beaucoup, très cordialement, E.M. »

Un grand nombre de citoyens, dont je fais partie, ont été choqués par la brutale intensification de la répression policière à l’égard des « gilets jaunes » et des lycéens au cours de ces derniers jours. Je voudrais donc vous rappeler un passage de mon livre que vous n’avez sans doute pas eu le loisir de méditer. C’est une citation de Georges Clemenceau que vous avez souvent cité comme l’un de vos plus dignes prédécesseurs.

Après la répression de la manifestation du 1er mai 1891 à Fourmies (Nord), qui avait fait neuf morts et trente-cinq blessés parmi les ouvrières et les ouvriers, Clemenceau – qui était à l’époque le leader de l’opposition radicale – prononça ces mots à la Chambre des députés (discours du 8 mai 1891) : « Vous avez cru qu’il suffirait de leur dire “Vous êtes souverains tous les quatre ans, le jour où vous déposez un bulletin de vote dans l’urne. Et vous avez pensé qu’ils se contenteraient de cette part congrue de souveraineté ?” Quelle erreur ! Qui de nous s’en serait contenté ? Prenez garde ! Les morts sont de grands convertisseurs ; il faut s’occuper des morts ! »

Ce cri d’alarme fut un éclair de lucidité car il pointait explicitement la raison pour laquelle le prolétariat industriel commençait à se mobiliser massivement. La conception bourgeoise de la citoyenneté exclut en effet les classes populaires de toute participation effective à l’exercice du pouvoir souverain, ce qui ne peut qu’alimenter la lutte des classes. Ce discours de Clemenceau fut aussi prémonitoire, puisque le massacre de Fourmies devint rapidement un événement fondateur (avec la Commune de Paris) dans la mémoire collective du nouveau mouvement ouvrier qui était en train de naître.

Certes, lorsqu’il fut lui-même ministre de l’Intérieur et président du Conseil, Clemenceau perdit sa lucidité. Il fut responsable d’une politique encore plus répressive que ses prédécesseurs, laquelle fit de nombreuses victimes, à Narbonne (au moment du soulèvement du « Midi Rouge » en 1907), à Raon-l’Étape, à Draveil, à Villeneuve-Saint-Georges, etc. Celui qui avait été le porte-parole des travailleurs fusillés à Fourmies finit par être haï par le peuple de France, à tel point que, le 27 juillet 1909, lorsque il fut écarté du pouvoir, L’Humanité titra : « La fin d’une dictature ».

Nous savons, M. Macron, que vous êtes très soucieux de la trace que vous laisserez dans l’histoire de la France. C’est dans les moments comme celui que nous vivons aujourd’hui que se jouent les réputations qui finiront par être inscrites dans les livres d’histoire.

Gérard Noiriel

Texte initialement paru le 10 décembre 2018 sur le blog de l'auteur « Le populaire dans tous ses états ».

Du même auteur, sur ce thème, lire « Les gilets jaunes et les “leçons de l’histoire” ».
Dernier livre paru : Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours.