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Mort lente d’un prisonnier politique

La Haute Cour britannique vient de rendre sa décision concernant la recevabilité de son ultime appel contre l’extradition de Julian Assance aux États-Unis. Le jugement (soixante-six pages), apparemment en demi-teinte, n’est pas facile à interpréter : il offre un répit mais s’inscrit dans la continuation du calvaire judiciaire que subit le fondateur de Wikileaks depuis quatorze ans.

Julian Assange ne sera donc pas extradé à brève échéance. Mais la menace plane toujours.

Les deux juges de la Haute Cour ont ouvert la voie à un appel. Mais de façon limitée. L’appel porterait sur les trois points suivants (les avocats du fondateur de WikiLeaks en avaient présenté neuf pour motiver le rejet de l’extradition) :

— violation du droit à la liberté d’expression (si Assange ne bénéficie pas aux États-Unis de la protection du premier amendement de la Constitution) ;

— risque de préjudice en raison de la nationalité (si Assange ne bénéficie pas, en tant qu’Australien, des mêmes droits qu’un citoyen états-unien) ;

— les poursuites engagées par les États-Unis exposent Assange à la peine de mort (le département de la Justice US a pour l’instant refusé de s’engager à garantir qu’il ne serait en aucun cas exécuté[1].

Dans le même temps, la Haute Cour invite Washington à présenter d’ici le 16 avril 2024 des « garanties » sur ces trois points. Il s’agit de « rassurer » la justice britannique.

Souvenons-nous que les États-Unis avaient remporté un appel en décembre 2021 contre le jugement de première instance (qui avait refusé l’extradition) en soumettant de telles « garanties ». Celles-ci ont toutefois été considérées comme très peu fiables par de nombreux observateurs avisés.

Si Washington adresse à la Haute Cour des engagements analogues, une audience aura lieu le 20 mai 2014, à l’issue de laquelle on devrait savoir si Julian Assange est oui ou non définitivement autorisé à présenter son ultime appel. Si les États-Unis ne présentent pas de « garanties » ou le font d’une façon jugée non satisfaisante, le fondateur de WikiLeaks sera automatiquement autorisé à faire appel.

On comprend de tout cela que l’extradition redevient possible dans deux mois…

Dans ses déclarations, l’équipe de défense de Julian Assange a signifié qu’elle était mécontente de la décision. Stella Assange est apparue particulièrement outrée. Il y a de quoi.

La Haute Cour a en effet rejeté, entre autres, la nature politique des poursuites contre le fondateur de WikiLeaks. Mais elle refuse aussi le risque que l’extradition ne viole plusieurs de ses droits fondamentaux : à un procès équitable, à la vie et de pas être soumis à des traitements cruels ou inhumains.

De plus, la décision de la Haute Cour refuse aux avocats d’Assange la possibilité de présenter de nouveaux éléments lors de l’appel. Ils ne pourront donc pas faire valoir l’espionnage d’origine états-unienne dont Julian Assange fut la cible dans l’ambassade d’Équateur à Londres et les projets de kidnapping et d’assassinat qui ont circulé au sein de la CIA lorsque Michael Pompeo en était le directeur.

Les deux juges ont estimé que ces plans étaient sans rapport avec la procédure d’extradition, puisqu’ils ne sont plus d’actualité – ils écrivent que la CIA craignait à l’époque une fuite vers la Russie. Ils précisent en outre que, s’il était extradé, le journaliste australien ne risquerait plus d’être kidnappé ou assassiné par l’agence puisqu’il se trouverait légalement en détention aux États-Unis... Une fois encore, les juges de l’affaire Assange viennent de battre Kafka à plate couture.

Pour conclure, précisons qu’il est dans l’essence du lawfare, l’instrumentalisation politique de la justice, de faire durer au maximum le supplice judiciaire et ses conséquences tout en maintenant (de très loin) les apparences de l’État de droit.

L’assassinat au ralenti d’un prisonnier politique se poursuit.

Comme l’a dit Stella Assange à de nombreuses occasions, cette affaire est à 1 % juridique et à 99% politique.

Il nous faut donc informer et alerter sans relâche. Tant que Julian Assange ne sera pas libre.

Et s’il s’agit pour l’instant d’empêcher l’extradition, la seule issue juste est la libération, l’abandon des poursuites et l’indemnisation.

Le comité de soutien de Julian Assange


Sur ces questions, lire :
— Stefania Maurizi, L’Affaire WikiLeaks. Médias indépendants, censure et crime d’État (Agone, 2024)
— « Avec l’“affaire Assange”, c’est la liberté de la presse qu’on menace » (Au jour le jour, mars 2024)
— « Quand la réalité surpasse la satire » (Au jour le jour, mars 2024)
— « Assange et la mauvaise conscience des médias
 » (Au jour le jour, février 2024)

Et voir les deux documentaires : Hacking Justice (2022) et Ithaka (2024).